Page:Joseph Reinach - Histoire de l’Affaire Dreyfus, Eugène Fasquelle, 1905, Tome 5.djvu/143

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
133
DÉFENSE RÉPUBLICAINE


paux témoins (contre Dreyfus) ; que, dès lors, le frapper d’avance de suspicion, c’était entreprendre sur l’indépendance des juges. D’autre part, on ne vit pas, ou l’on vit trop bien, que tout suspendre jusqu’à l’arrêt, c’était peser non moins lourdement sur les juges, leur signifier qu’acquitter Dreyfus, c’était livrer, condamner Mercier : « Entre le juif et le général, choisissez[1] ! »

Viviani essaya en vain de réagir. Il déposa, « au nom du parti socialiste », une motion ferme de mise en accusation[2], la développa dans une improvisation enflammée. Mais ce beau discours venait trop tard, après qu’on avait entrevu le refuge commode du sursis. On ajourna par 277 voix contre 228[3].

Dupuy s’abstint, avec ses ministres. Son désir d’être battu par ses propres amis parut visible. Il n’est nullement impossible que lui-même ait soufflé Pourquery. Puis, le tour joué, pour rétablir une façon d’équilibre, il ne « s’opposa pas[4] » à l’affichage de l’arrêt de la Cour de cassation, proposé par les socialistes[5], com-

  1. « Dreyfus sera acquitté, c’est certain. Il ne peut pas ne pas l’être. Mais il n’en est pas moins vrai que c’est horriblement imprudent et stupide d’avoir même laissé entrevoir la possibilité des représailles. » (Cornély, dans le Figaro du 6 juin 1899.)
  2. La motion porte trente-six signatures, Millerand, Grousset, Vaillant, André Berthelot, Rouanet, Clovis Hugues, Chauvière, etc.
  3. La minorité comprends les socialistes, une centaine de radicaux, dont Brisson, Sarrien, environ soixante modérés et « opportunistes », (Renault-Morlière, Rouvier, Decrais, Montebello, Thierry-Delanoue, Isambert). La majorité est composée de la Droite et des nationalistes, des amis de Méline et de Ribot (Aynard, Barthou, Cochery) et d’une cinquantaine de radicaux (Chapuis, Dujardin-Beaumetz, Gerville-Réache). Poincaré s’abstint.
  4. « Le gouvernement ne fait pas opposition à la proposition. »
  5. Sembat, Millerand, Viviani, Breton, etc.