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HISTOIRE DE L’AFFAIRE DREYFUS


justice ; mais l’armée ne poussera-t-elle pas ces avantages ? Ils se rendaient compte de l’hostilité frémissante du corps d’officiers, du mécontentement, de moins en moins déguisé, des chefs de corps, et se demandaient si cette haute armée resterait fidèle jusqu’au bout, sourde aux excitations des fauteurs de coups d’État. Si le mal s’accroissait encore, comme il était probable, Krantz ne paraissait pas de taille à maintenir ou à rétablir l’ordre. Déjà, il donnait l’impression d’un cavalier inexpérimenté que sa monture emporte et qui se cramponne à la selle. Les socialistes n’étaient pas les moins inquiets, souhaitaient ouvertement de voir à la tête de l’armée un chef sous qui nul ne se risquerait à broncher.

Des incidents, qui se produisirent coup sur coup, montrèrent dans une lumière crue la nervosité des officiers et le relâchement du haut commandement. Généraux et colonels, qui s’étaient contentés jusqu’alors d’exhaler leurs rancœurs dans le particulier, se mirent, dans une même semaine (6-13 juin), à manifester publiquement. — À Angers, ordre du jour du général Hartschmidt, l’un des meilleurs soldats de la jeune armée : « Si les officiers étaient réellement des coquins, on en aurait trouvé dans toutes les cochonneries qui se sont faites en France depuis dix ans et plus…[1] » — À Béziers, lettre ouverte du colonel Rigollet aux journaux : « Les turpitudes des drôles qui font métier d’outrager le drapeau…[2] ». — De Rennes (du camp de Coëtquidan), lettre du colonel de Saxcé à Pressensé, au sujet du bruit qui avait couru qu’il allait être appelé à présider le futur conseil de guerre ; Saxcé, loin d’être

  1. Ordre du 6 juin 1899.
  2. 3 juin. (Lettre à la Dépêche de Toulouse.)