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HISTOIRE DE L’AFFAIRE DREYFUS


vait accepter d’être premier ministre qu’à la condition de choisir lui-même ses collaborateurs et d’établir son programme, et le Parlement n’en était pas là qu’il fallût chercher en dehors de lui un président du Conseil.

Le refus de Casimir-Perier fut très sensible à Poincaré ; pourtant, il ne renonça pas encore et se rabattit sur une autre combinaison, mais qui, même en des temps ordinaires, eût paru médiocre. Il conservait la moitié du cabinet Dupuy, laissait Krantz à la Guerre, et mettait à l’Intérieur, où il eût fallu l’homme le plus énergique, la faiblesse même, Sarrien. Il dira, plus tard, « qu’il aurait voulu garder pour son parti (c’est-à-dire son groupe) le bénéfice de l’opération à accomplir » : quelle œuvre eût-il accomplie avec l’hésitant Sarrien et Krantz, toujours certain que Dreyfus et Picquart étaient coupables[1] ? Aussi bien ne se trompait-il pas lui-même sur cette politique des groupes et des « sous-groupes » ; (dans le déclassement des partis depuis l’Affaire, elle ne correspondait plus à rien de réel, hors des couloirs du Palais Bourbon) ; et il en éprouvait d’autant plus d’ennui qu’il avait entrevu un plus grand ministère, avec, autour de lui, les chefs en disponibilité et les vétérans de la République. Mais plus il consultait d’« amis », plus sa propre vision des choses se rétrécissait.

Une autre faute, mais qui ne manquait pas de générosité, le fit échouer.

Il avait annoncé, dès ses premières conversations, qu’il ne ferait pas de ministère sans son ami Barthou, et il s’y obstinait, bien qu’il le sût en butte aux animosités les plus vives. Les radicaux, en effet, ne lui par-

  1. « Il a informé confidentiellement Siegfried que, depuis le premier jour, il n’a pas changé d’opinion sur les deux principaux accusés. » (Clemenceau, dans l’Aurore du 17 juin 1899.)