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LE RETOUR DE L’ÎLE DU DIABLE


ténébreux épisode, celui qui a rendu le bordereau original à Munster, après l’avoir fait décalquer (ou copier) et photographier.

Que des militaires, qui avaient désappris de raisonner, ou des catholiques, qui correspondaient avec saint Antoine de Padoue et donnaient de l’argent pour le rachat des âmes du purgatoire, crussent aussi au bordereau annoté, c’était presque logique. Mais Émile Ollivier y crut, lui aussi[1], l’objecta, deux ans durant, à l’Impératrice Eugénie qui cherchait à le convertir à l’innocence de Dreyfus.

Quelque rassurantes que fussent de pareilles crédulités, Mercier n’en procéda pas moins avec de grandes précautions. Comme on s’étonnait qu’il n’eût rien dit de cette preuve décisive à la Cour de cassation, il l’expliqua par l’intérêt supérieur de la paix, que la terrible révélation risquait de compromettre, recommanda le silence aux journaux (jusqu’à nouvel ordre) et l’obtint. Tant qu’il y aura une chance d’empêcher la réhabilitation du traître par d’autres preuves, il faudra se taire de celle-ci dans la presse, et, dans les Chambres, comme ont fait Lasies et Firmin Faure, n’y faire que de vagues allusions[2].

Beaucoup obéirent, d’ailleurs sans réfléchir, parce que Mercier était le chef, avait l’allure et le ton du

  1. Chambre des députés, 7 avril 1908, Jaurès : « Je ne serai pas démenti par M. Émile Ollivier si je rappelle les termes exacts d’une déclaration faite par lui :« Il n’a jamais vu ni jamais dit qu’il eût vu le bordereau annoté par l’Empereur d’Allemagne et restitué par Casimir-Perier à l’ambassadeur Munster, mais qu’un de ses amis, absolument digne de confiance, a vu une des huit photographies qui en avaient été tirées avant la restitution. » (Note écrite sous la dictée d’Ollivier ; je l’avais communiquée à Jaurès qui, en effet, ne fut pas démenti.)
  2. Voir t. IV, 464.