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HISTOIRE DE L’AFFAIRE DREYFUS


plus heureux ». Baillière jura de faire feu sur quiconque chercherait à l’arrêter[1].

On ne saura peut-être jamais dans quelle mesure Déroulède a mêlé ici le vrai et le faux, des indications exactes à des affirmations gratuites et à de simples menteries, pour encourager ses ligueurs. Certainement, les généraux, dont il leur jeta les noms, n’en surent rien ; ni Quesnay ni l’énigmatique Thiébaud[2] ne paraissent avoir été prévenus qu’il disposait d’eux ; Habert, seul, était à lui. D’autre part, l’agent qui fit le récit circonstancié du conciliabule n’était nullement imaginatif, ses précédents renseignements s’étaient toujours trouvés exacts, et ceux-ci concordaient avec ce qu’on savait du côté des royalistes : que Ramel et Buffet avaient reçu des instructions secrètes[3] ; que le Duc avait donné des ordres pour une croisière aux côtes de France[4], et qu’à Lille, à la suite d’une visite de l’avocat Godefroy, les gens des comités annonçaient un grand coup, des généraux gagnés à la cause du prince ; « le mouvement partira de Rennes[5] ».

Ainsi le gouvernement se trouvait dans la situation classique du Sénat romain : « Les circonstances nous avertissent qu’il faut plutôt songer à nous prémunir contre les conjurés qu’à statuer sur leur supplice. Car

  1. Haute Cour, I, 32, rapport du 6 août 1899 ; VII, 78, Bottier, commis de Barillier, convient de propos analogues, mais qu’il cherche à atténuer. Les témoins Lefèvre, Menu et Blanc reconnaissent avoir été convoqués par Barillier.
  2. Voir t. IV, 337.
  3. 21 juillet. Haute Cour, V, 164 ; VI, 56. Ramel prétendit avoir égaré la lettre du prince « relative à un comité de propagande ».
  4. Ibid., acte d’accusation, 159 ; VII, 15, et séance du 7 décembre 1899, Lépine.
  5. Ibid., II, 75, rapport du commissaire spécial ; 120, lettre de Bérard au colonel de Parseval, etc.