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HISTOIRE DE L’AFFAIRE DREYFUS


comme il n’avait cessé de le réclamer, et la négociation fut vivement menée, sans qu’on sache toutefois ni le nom de l’émissaire (quelque collaborateur de Drumont) ni le chiffre de la rançon[1]. Esterhazy, par contre, donne lui-même la date de l’opération. Il écrit, en effet, à Cabanes, le 31 juillet, qu’il lui a adressé la veille le canevas de sa déposition et que, sauf avis contraire, il va partir pour Rennes[2] ; et six jours après, il avise Carrière qu’il n’ira pas[3], « parce qu’il sait le conseil de guerre résolu à acquitter Dreyfus » et, surtout, « parce qu’il est sans ressources », dans l’impossibilité « matérielle » de faire le voyage[4] — En conséquence, il doit se résigner à défendre son honneur seulement par écrit : « Devant Dieu et par la mémoire sacrée de mon père, je jure n’être entré en rapports avec Schwarzkoppen que par l’ordre de Sandherr[5]. »

C’était assurément gênant qu’il continuât à se dire l’auteur du bordereau, même par ordre ; mais comment fût-il revenu sur tant de déclarations sans éveiller le soupçon d’avoir été payé pour se rétracter ? L’ancien État-Major en sera quitte pour raconter que cet absurde roman lui a été dicté par le Syndicat.

  1. Esterhazy (Dép. à Londres, éd. belge, 116) dit que l’avocat Lafay vint le trouver de la part de Quesnay, mais sans préciser à quelle date. Il s’agit vraisemblablement d’une autre négociation, pour le compte seulement de Quesnay.
  2. Du 31 juillet 1899 à Cabanes : « Je vous ai envoyé hier une très longue lettre, projet de déposition à faire au commandant Carrière pour le cas où vous trouveriez que je ne dois pas aller à Rennes. Je vous demandais de m’accuser réception par un télégramme non signé… »
  3. Lettre du 6 août à Carrière.
  4. « Il est enfin une autre raison que vous trouverez, sans doute, secondaire, c’est que je suis sans ressources… Je ne puis donc matériellement aller à Rennes… » etc.
  5. Lettre à Carrière dans le Matin des 7 et 8 août.