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HISTOIRE DE L’AFFAIRE DREYFUS


qui se collait à lui tout le temps et dont la face glabre, d’un jaune de citron, tourmentée par les regrets et la haine, s’épanouissait d’un ricanement mauvais à le voir si certain de vaincre, « sa déposition serait la plus importante du procès[1] » ; et les officieux renchérissaient : « Quand il aura parlé, le procès sera virtuellement clos ; il n’y aura plus qu’à clore les débats, à réexpédier Dreyfus à l’île du Diable et à sonner l’hallali de Reinach[2]. »

Pourtant, le laissera-t-on parler ? pourra-t-il « tout dire » ? Nous avons raconté comment Mercier, depuis plusieurs semaines, avait presque simultanément répandu son double mensonge, la plus audacieuse imposture à double face qu’on eût encore inventée, à savoir qu’il avait entre les mains une preuve irrécusable, mais qu’il ne pouvait en faire usage qu’en risquant de se faire arrêter pour violation de secret d’État ; et comment sa presse, au signal qu’il avait donné lui-même, lui enjoignit de passer outre : « Vous faites le centre de cette vaste affaire nationale ; c’est pour en porter tout le poids : un grand honneur ou l’infamie[3]. »

Il n’est pas impossible que ces « patriotes » exaspérés ne fussent pas tous dans le secret de la comédie ;

  1. Gaulois du 9 août 1899.
  2. Éclair, Libre Parole, Intransigeant : « Mercier dira tout. C’est plus qu’il n’en faut pour réexpédier Dreyfus à l’île du Diable. Reinach est perdu ; l’hallali de la bête puante va sonner. » Liberté du 11 : « À peine aura-t-il commencé, racontent les amis de Mercier, qu’il n’y aura plus de procès. Tout sera fini. Il a sur lui un papier, et quel papier ! Le général dira tout et prouvera tout. » Patrie du 12 : « Le général Mercier a exposé ses angoisses et ses scrupules patriotiques au vieux de Mahy qui lui a répondu : « Il faut tout dire. » Sur quoi Mercier « J’ai en vous une confiance absolue ; je parlerai et, si l’on ne m’assassine pas en route, le procès Dreyfus sera vite terminé.
  3. Barrès, Journal du 4 juillet, Dreyfus ou les grands chefs.