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HISTOIRE DE L’AFFAIRE DREYFUS


tous les visages. Adversaires et partisans se sentirent également frustrés. Après la réédition, si bruyamment annoncée, du coup d’Henry au procès Zola, cette plate reprise des chicanes de Roget équivalait, pour le gros du public, à l’aveu qu’il n’y avait pas de preuves contre Dreyfus[1]. Plusieurs, jusqu’à la dernière minute, se dirent : « Il n’est pas possible qu’il n’ait pas autre chose dans sa giberne. La vraie déposition va venir… »

« On ne pouvait pas croire que ce fût cela ; c’était cela pourtant[2]. » Ou il semblait que c’était seulement cela, aux quelques lambeaux de phrases mâchonnées qui arrivaient à l’auditoire, des phrases qu’on avait l’impression d’entendre pour la millième fois, sauf que Mercier n’y appelait plus Panizzardi et Schwarzkoppen, comme aux précédents procès, par des initiales. Mais les temps étaient si loin où Delegorgue invoquait « l’honneur et la sécurité du pays » pour défendre de nommer l’attaché allemand[3], et ces noms, qui avaient été redoutables, étaient tellement usés, que ce manquement à la consigne ne parut même pas une nouveauté. De temps à autre, on voyait Mercier passer au greffier des lettres, les vieilles pièces secrètes et quelques nouvelles, et Coupois les lisait comme les premiers papiers venus. Mais le mot promis, le mot libérateur, le mot éclair ne venait toujours pas.

  1. Cassagnac : « C’est un simple avocaillon, un filandreux procureur… Il s’est borné au réquisitoire le plus vague… Quand on n’a pas autre chose dans sa giberne, on n’entame pas certains procès. » (Autorité du 15 août 1899.)
  2. Marcel Prévost : « … Il n’est pas venu autre chose : la stupeur se peignait sur tous les visages, de revisionnistes ou non. » Barrès : « Les curiosités attendaient une péripétie de théâtre. « (Voir p. 306. « On attendait le mot révélateur le coup de massue. » (Journal des Débats.)
  3. Voir t. III, 461.