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RENNES


va faire devant le conseil de guerre. Mais « si Esterhazy était venu déclarer qu’il est l’auteur du bordereau, j’aurais demandé qu’on le lui fit faire devant vous pour bien montrer qu’il ne le pouvait pas[1] ».

Il sait qu’Esterhazy ne viendra pas et que si, d’aventure, le gredin se ravisait, la bataille serait perdue de toutes façons. Ce sont les chances de la guerre.

Il parlait depuis quatre heures, sans avoir encore tourné les yeux vers Dreyfus, assis à deux pas de lui et, semblait-il, impassible. Quand il arriva à sa péroraison (visiblement apprise), il se tourna, d’un geste qui n’était pas moins étudié, vers l’homme, s’efforça de le regarder « comme une chose[2] », et récita : « Si le moindre doute avait effleuré mon esprit, je serais le premier à le déclarer et à dire devant vous au capitaine Dreyfus : Je me suis trompé de bonne foi… » Mais Dreyfus, pour le coup, n’y put tenir et, se dressant, marchant, le bras tendu, vers Mercier, lui hurla en plein visage le cri qui lui gonflait la poitrine : « C’est ce que vous devriez faire ! » Il semblait vouloir se jeter sur lui, pendant que les

    bordereau est du capitaine Dreyfus, attendu qu’il résulte pour moi de l’examen technique du bordereau qu’il ne peut pas être d’Esterhazy et qu’il va résulter de l’examen cryptographique du bordereau qu’il est du capitaine Dreyfus. » Ce dernier alinéa est modifié comme suit dans le compte rendu revisé : « Je persiste donc à croire que le bordereau a été écrit par le capitaine Dreyfus, mais je n’attache pas grande importance à cette question parce que, même si le bordereau a été écrit par un autre, son examen cryptographique va démontrer qu’il n’a pu l’être que sous l’inspiration du capitaine Dreyfus. » — Jaurès, dans son discours du 7 avril 1903, rapproche, avec beaucoup de force, le texte sténographique du texte, revisé : « Voilà le système, mais prenez garde ! Ce n’est pas autant que vous l’imaginez de la folie pure : c’est le point par où le système du bordereau annoté vient cependant affleurer comme par une pointe à la surface du procès. » — De même, Raoul Allier, loc. cit., 99.

  1. Rennes, 1, 141.
  2. Barrès, 155 : « Il regarde le traître comme une chose »