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HISTOIRE DE L’AFFAIRE DREYFUS


plutôt tiré qu’il avait pris la fuite ; rebroussant chemin, il s’engouffrait déjà dans le sentier de halage qui borde la Vilaine, à quelques pas de l’entrée du pont de Richemond où l’attentat avait eu lieu. Tout cela en moins d’une minute.

Bien qu’il courût à toutes jambes, un batelier qui, au bruit, avait sauté de sa péniche, le reconnut au passage pour le même homme qu’il avait vu, le vendredi précédent, allant et venant, vers la même heure, aux abords du même pont et examinant les lieux. Son premier mouvement fut pour lui barrer la route, le second de reculer devant le revolver que le meurtrier braqua sur lui, tout en continuant à fuir et criant : « Laissez-moi passer ! Je viens de tuer Dreyfus[1] ! » ou « un Dreyfus[2] ! » — Impossible qu’il ait cru tuer Dreyfus qui ne se promenait pas sur les quais ; un Dreyfus désignait, à Rennes, les partisans de la revision. — Le marinier dit plus tard qu’il regrettait « de n’avoir pas pensé à le pousser à l’eau. » Gast et Picquart, à dix mètres, criaient : « À l’assassin ! Arrêtez-le ! » S’ils avaient eu leurs pistolets, ils l’eussent tiré comme un lapin. Mais ils étaient sans armes[3] et de beaucoup moins agiles[4]. Il fila

  1. C’est la première version du batelier Avril, télégraphiée le 14, à 8 h. 30 du matin, au Temps. Même version dans le Temps du lendemain : « Il brandissait son revolver, criait : « Je viens de tuer Dreyfus ! Place ou je vous casse la gueule ! » — Même version dans l’Écho, l’Éclair, etc.
  2. Version de l’Aurore, d’après le même témoin, et du Petit Bleu, d’après les ouvriers qui virent passer l’assassin dans les bas quartiers : « Je viens de tuer le Dreyfus ! » « Cette phrase lui servait de mot de passe. » — Le 16, l’Aurore donne cette variante, qui paraît la plus probable : « Je viens de tuer un Dreyfus ! » — Sur les intentions successives de l’assassin, voir p. 353.
  3. « Malheureusement, Picquart et moi, nous étions sans armes, ne voulant pas aller armés à l’audience. »(Lettre de Gast.)
  4. « Les onze mois de prison m’ont amolli les jambes. » (Récit de Picquart.)