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HISTOIRE DE L’AFFAIRE DREYFUS

À supposer que Mercier aurait eu intérêt à supprimer Labori et que ce plus précautionné des grands malfaiteurs se fût mis à la merci d’un assassin, il se serait gardé de lancer à son ancien lieutenant, devenu son adversaire, un défi niaisement triomphal et révélateur. Le plus cynique des Sforze ou le plus épais des Médicis, dans un temps où l’assassinat d’un ennemi par un sbire n’était pas beaucoup plus qu’un fait-divers, aurait pris un air étonné ou contrit.

En fait, l’attitude de Mercier fut des plus correctes. Il alla des premiers s’inscrire chez le blessé[1], ce dont Labori, par la suite, le remercia publiquement, et il retira sa plainte contre Bourdon, le journaliste qui l’avait insulté, « en raison de l’odieux attentat et dans un but d’apaisement moral[2] ».

Labori, s’étant mis à parler après son premier pansement, fit allusion à la note de Du Paty : « Dites au général Chamoin que je le questionnerai sur certaine pièce nouvelle du dossier secret[3] ». Ce n’était pas cette histoire que Mercier aurait voulu étouffer ; Demange et Dreyfus la connaissaient ; Chamoin était parti la veille pour s’en expliquer avec Galliffet[4]. Enfin, si, parmi les amis de Mercier, beaucoup, en effet, redoutaient pour lui le questionnaire préparé, annoncé depuis longtemps, et le clairon sonore de Labori, d’autres, au contraire, escomptaient ses intem-

  1. « Cet acte du général me paraît simplement idiot. » (Libre Parole du 21 août 1899.)
  2. 16 août. (Note de Mercier au Parquet.)
  3. Temps du 15, récit d’un camarade d’enfance de Labori ; Procès Labori, 13 décembre 1899, Berl.
  4. Temps du 15 août. (Voir p. 300 et 418.)