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HISTOIRE DE L’AFFAIRE DREYFUS

XIX

Esterhazy étant toujours défaillant, Jouaust avait fait donner lecture de sa déposition devant la Chambre criminelle[1]. Gonse demanda aussitôt à s’expliquer sur les incidents de 1897, les raconta à sa manière, protesta surtout qu’Esterhazy n’avait jamais été l’homme ni de Sandherr ni de l’État-Major. Boisdeffre prit son plus grand air, regretta de n’avoir pas devant lui « le commandant » ; il eût voulu lui dire en face « son mépris ».

Ils avaient eu beau accréditer qu’il s’était vendu aux juifs, que ses aveux étaient aussi suspects que ceux de Dreyfus étaient certains : ils eussent apparemment parlé d’un autre ton si, tout à coup, la tête de Méduse se fût dressée devant eux.

Non seulement son absence leur donnait pleine licence de se dégager de lui, de démentir en bloc l’inextricable tissu de mensonges et de vérités qu’était son récit de ses aventures, et, en outre, de le dire l’homme des Dreyfus ; mais elle le faisait comme étranger aux débats, réalisait la vieille consigne de Gonse : « Séparer les deux affaires, l’affaire Dreyfus, l’affaire Esterhazy[2] » ; il n’y avait pas d’affaire Esterhazy. Le conseil de guerre prononcera sur Dreyfus comme si Esterhazy n’existait pas.

Entre tant d’absurdités du procès, ce n’était pas la moindre et, peut-être, ce fut la plus fatale. Il n’était pas au pouvoir de la défense de faire venir Esterhazy ; d’autant plus, elle eût dû tout ramener à Esterhazy,

  1. Rennes, II, 122 et suiv. (23 août.)
  2. Voir t. II, 299.