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HISTOIRE DE L’AFFAIRE DREYFUS


leçon[1]. Le bruit se répandit qu’un gros incident allait se produire[2]. On remarqua que Mercier, Boisdeffre, tous les généraux avaient revêtu leur grande tenue[3].

Jouaust, comme honteux du coup de Jarnac auquel il consentait à se prêter, mâchonna qu’il allait faire entendre un nouveau témoin, en vertu de son pouvoir discrétionnaire, à titre de renseignements, « sans prestation de serment ». Sur quoi, Cernuski, très pâle, s’avança, salua Dreyfus, puis le conseil, et dit, d’une voix gutturale, « qu’il parlait difficilement le français », ce qui était aussi faux que le reste[4] ; en conséquence, il priait le président de lire sa déposition, c’est-à dire la lettre qu’il lui avait adressée le 20 août.

Les partis étaient si enragés que tout ce qu’il y avait de « patriotes » dans la salle prit un air de triomphe à la lecture de l’absurde factum. Jouaust se borna à cette question : « Avez-vous d’autres renseignements à donner au conseil ? » Cernuski : « Oui, mon colonel, mais pas ici. » Réponse certainement dictée, convenue avec Carrière qui réclama aussitôt le huis-clos : « Le témoin n’a pas voulu, par une discrétion bien justifiée, dire tout ce qu’il sait. » Il s’excusa ensuite « d’avoir traité d’abord la question un peu légèrement », quand il avait lu, pour la première fois, la lettre de Cernuski, et, comme Demange eût voulu savoir « s’il avait pris des renseigne-

  1. Figaro du 4 septembre 1899. — « Nous sommes plusieurs à avoir vu le général Roget, entouré de plusieurs officiers, faire une leçon très prolongée à Cernuski, immédiatement avant sa déposition. » (Lettre de Jacques Hadamard.)
  2. Jaurès dans la Petite République. — Lettre de Gast : « Nous nous attendions à ce coup de l’État-Major pour répondre à la séance du samedi. »
  3. Libre Parole : « Détail particulier… etc. »
  4. Rennes, III, 312, Cernuski ; 670, Demange : « À l’audience de huis-clos, il a très bien parlé en français. »