Page:Joseph Reinach - Histoire de l’Affaire Dreyfus, Eugène Fasquelle, 1905, Tome 5.djvu/52

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
42
HISTOIRE DE L’AFFAIRE DREYFUS

Mathieu Dreyfus vit très bien qu’il fallait réserver le retour révolutionnaire de Zola pour la dernière extrémité, quand tout espoir serait perdu de conquérir la justice par la légalité, et que ce qu’il y avait à faire, c’était ce que Dupuy avait pris le plus de soin à empêcher : la publication de l’Enquête. Ce fut également l’avis de Trarieux, de Bernard Lazare, de Clemenceau, et le mien ; mais comment avoir un des fameux exemplaires ? Mathieu nous laissa nous creuser la tête pendant quelques jours.

Quand la Chambre criminelle avait ordonné la communication des procès-verbaux à la défense[1], Mornard, comme c’était son droit, en avait donné connaissance à Mathieu, qui tantôt les lisait chez l’avocat, tantôt les emportait chez lui et en faisait prendre copie secrètement par sa femme. Mathieu, à l’insu de Mornard, nous confia, à Clemenceau et à moi, qu’il s’était procuré, mais sans nous dire comment, les copies des dépositions les plus importantes ; sur quoi, je convins avec Victorien Sardou, qui était des plus passionnés dans l’affaire, qu’il les remettrait, au jour le jour, à Fernand de Rodays, pour les publier dans le Figaro ; elles seraient reproduites ensuite par les autres journaux revisionnistes. Un peu plus tard, Mathieu s’adressa, pour les dépositions qui lui manquaient, à Labori, qui avait un double du dossier ; Labori ne posa qu’une condition, fort légitime, qu’il ne serait pas mis en cause ; et Bernard Lazare fit transcrire toutes ces pièces par de pauvres juifs russes, qui travaillèrent nuit et jour et gardèrent scrupuleusement le secret. La divulgation anticipée d’actes de procédure étant interdite, des poursuites correctionnelles étaient inévitables. Pour le cas où Dupuy et Lebret mettraient en cause des innocents

  1. Voir t. IV, 457.