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RENNES


tout est possible ; je ne suis compétent en rien, mais laissons tout de côté — et condamnons ! », les juges acquitteront, rien que par pudeur.

Ce fut notamment l’opinion de Bernard Lazare qui me téléphona, au sortir de l’audience, que rien n’était perdu, mais à condition de ne pas rejeter les juges du prétoire dans les camps, au moment des plaidoiries, ce que ne ferait pas Demange, mais ce qui était à craindre si Labori se laissait entraîner à quelque imprudence de parole. Or, non seulement Labori n’avait pas cessé d’irriter les membres du conseil, à la vérité par ce qu’il y avait eu de meilleur et de plus hardi comme par ce qu’il y avait eu de fâcheux dans ses interventions, mais, surtout, il ne retrouvait plus ses moyens que par accès, quand il s’exaltait, et faisait alors plus de mal que de bien. Bernard Lazare était donc d’avis qu’il n’y eût qu’une seule plaidoirie, celle de Demange ; seulement ni Dreyfus ni Mathieu ne pouvaient demander à Labori de renoncer à son discours ; ceux des revisionnistes rennais qui souhaitaient, eux aussi, qu’il ne parlât pas, n’étaient pas davantage en situation de l’en prier ; dès lors, il fallait que le conseil vînt des amis de Paris et, si possible, de Clemenceau.

La communication de Bernard Lazare me surprit d’autant moins que la même idée m’était venue. Depuis quelque temps, ceux des militants qui étaient restés à Paris et qui respiraient un air moins embrasé, étaient devenus très prudents ; même Pressensé, toujours excessif, avait déconseillé à Trarieux de déposer, en se couvrant de l’opinion, qui lui avait été inexactement rapportée, de Waldeck-Rousseau[1]. Cependant, à la réflexion, j’avais changé d’avis ; tout

  1. Je fus informé de l’incident par Trarieux lui-même.