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RENNES


couler les larmes de Merle, et il se croyait sûr de l’intelligence de Brogniart. Il lut donc simplement la question, telle que la posait l’arrêt des Chambres réunies, et recueillit, les voix, comme le voulait la loi, en commençant par le grade inférieur et le moins ancien dans chaque grade. D’abord, les deux capitaines, Beauvais et Parfait : « Oui. » Puis les trois commandants ; Profilet : « Oui » ; Bréon : « Non » ; Merle : « Oui. » — Bréon, pendant la suspension, était retourné prier.

Maintenant, tout dépendait de Brogniart Tout le temps des débats, il avait frappé les spectateurs par son air de belle gravité mélancolique, et, tout le temps du plaidoyer de Demange, il n’avait pas arrêté de prendre « fébrilement[1] » des notes. Jouaust, selon le récit de Barrès, avait déjà « son crayon dans la colonne des Non[2] ». Brogniart prononça : « Oui. »

Le « Non » de Jouaust, qui ne pouvait plus empêcher la condamnation, étonna d’autant plus les cinq qui l’avaient votée. On a raconté que Jouaust, avant même de prononcer son « Non », aurait interpellé Brogniart : « Comment ! vous trouvez qu’il y a des preuves…[3] » ; puis, qu’une discussion s’engagea, où l’un des officiers allégua le bordereau annoté ; que Jouaust répliqua avec colère et démontra que c’était un faux ; et que Parfait proposa alors de recommencer le vote, ce qui était contraire à la loi. Mais ce récit, sans être invraisemblable, ne s’appuie sur aucun témoignage ; Chamoin, le lendemain, dit seulement à Galliffet que Jouaust, après avoir prononcé son « Non », exprima vivement son regret qu’une nouvelle erreur judiciaire, à son sens, eût été commise, insista pour les circonstances atténuantes, les fit voter

  1. Journal du 10 septembre 1899.
  2. Barrès, 214.
  3. Ibid.