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LA GRÂCE


cience affolée, corrompue, s’était rassurée à la pensée que leur victime souffrirait moins dans sa chair.

Le verdict prononçait la dégradation, parce que la loi le voulait. Mais ils ne purent supporter l’idée, qui réjouissait seulement Drumont et Rochefort, d’une nouvelle parade d’exécution. À la même heure où Waldeck-Rousseau consultait avec Mornard, ils se concertèrent, demandèrent (à l’unanimité) que la dégradation fût épargnée à Dreyfus[1].

Pourquoi, s’il est un traître ? Si ce riche officier d’État-Major a vraiment vendu pour quelques écus les secrets de la défense nationale, lui arracher une seconde fois ses galons est à peine un châtiment.

Ainsi ; ils se condamnaient eux-mêmes, désavouaient eux-mêmes leur sentence, pendant que les plus avisés parmi les nationalistes conseillaient de « sceller un marbre mortuaire sur l’Affaire[2] ».

Mais, précisément, parce que ces malheureux et les misérables, dont ils avaient été les instruments consentiraient volontiers à la grâce, Waldeck-Rousseau s’inquiétait que les militants dans l’autre camp la repousseraient, et l’acquiescement de Mornard ne suffit pas à le rassurer à leur endroit. Ivres d’idéal ou emportés par des passions moins nobles, mais qui se couvraient de justice, la grâce leur apparaîtra, ou ils la dénonceront comme une injure au Droit et à l’innocent. Grâce : remise de la peine que le prince fait à un coupable. « La grâce ?… Pour qui ? Pour les juges ? »

Il n’y avait qu’à lire leurs journaux, plus frémissants,

  1. Libre Parole du 11 septembre 1899. — « Ce recours va être transmis au général Lucas, qui se chargera de le faire parvenir au Président de la République, » (Agence Havas du 12.)
  2. Barrès, dans le Journal du 10. — De même Judet : « Si nous n’en parlions plus ! »