Page:Joseph Reinach - Histoire de l’Affaire Dreyfus, Eugène Fasquelle, 1905, Tome 5.djvu/561

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
551
LA GRÂCE


le pourvoi en revision n’aura eu d’autre résultat que d’aggraver la peine et le malheur de Dreyfus ; il aura été jugé par trois conseils de guerre ; la mauvaise foi des partis exploitera que le troisième l’aura condamné à l’unanimité, et le bénéfice du partage des voix à Rennes sera compromis ou perdu. D’où Millerand tirait cette conclusion : que Dreyfus renonce à son pourvoi, le jugement de Rennes « passera en force de chose jugée » et, dès demain, la grâce pourra être proposée par Galliffet et signée.

Dès que Millerand m’eût rappelé les textes, qui ne laissaient aucune place à la discussion, je lui dis que, pour ma part, je proposerais certainement à Mathieu Dreyfus le retrait du pourvoi, parce que je mettais au premier rang le désaveu immédiat du jugement de Rennes par le gouvernement de la République, mais que ceux de nos amis qui étaient opposés à la grâce allaient trouver dans cet incident imprévu un redoutable argument. « Ce n’est plus, me diront-ils, le gouvernement qui déchire de sa propre initiative un jugement inique, c’est Dreyfus qui demande grâce et invoque qu’il a trop souffert après avoir tant déclaré qu’il revendique seulement son honneur. » Et les adversaires impénitents de la revision, jésuites de toutes robes et faux patriotes, trouveront mieux : « Dreyfus, en retirant son pourvoi, est convenu qu’il a été justement condamné. »

Millerand admit que Dreyfus, en retirant son pourvoi, consentirait un sacrifice ; quelle duperie cependant, après tant de véritable héroïsme, que d’attacher son honneur à une troisième condamnation automatique !

    n’auront qu’à réparer l’omission faite par leurs camarades de Rennes. Inutile d’ajouter qu’ils feront bonne mesure. Ce serait une iniquité de plus. »