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HISTOIRE DE L’AFFAIRE DREYFUS


nua à la barre, véritable parade de justice et, visiblement, avec la complicité de Dupuy. — D’abord, nul interrogatoire sérieux des accusés, qui avaient préparé et débitèrent d’interminables discours, comme s’ils étaient à la tribune, et firent le procès du gouvernement et de la Constitution. Déroulède[1], maître du prétoire par la bande d’amis et de claqueurs qui s’y étaient installés et par la mollesse des juges, lança à toute volée, avec une monotonie tonitruante, des extravagances voulues et des platitudes ; bien que son rôle, d’un Masaniello en redingote, commençât à s’user, il s’y admirait toujours et n’arrêta pas de hurler que l’inculper d’un petit crime visé par la loi sur la presse, c’était l’insulter, qu’il avait commis un attentat et « qu’il recommencerait ». — Puis, nul interrogatoire des témoins, ni des témoins de fait, Roget et ses officiers, tous atteints d’une même contagion de surdité ou d’amnésie, pendant que les civils, Barrès, Lasies, se vantaient d’avoir participé au coup ; ni des témoins de moralité, qui célébrèrent le « geste symbolique » de Déroulède[2] et injurièrent Loubet. — Ne pas chercher à savoir, ne rien faire pour éclairer le jury, ne pas se fâcher avec des révoltés qui, demain peut-être, seront les maîtres, ne pas mécontenter la salle, se faire louer pour son impartialité par les bandits de lettres qui, depuis tant d’années, dominent et terrifient l’opinion, telle fut l’attitude des magistrats pendant les trois audiences du procès. Quand le professeur Syveton, l’avocat Hornbostel, surtout Quesnay,

  1. À la question du président, au début de l’audience, il fit suivre ses nom et prénoms de la qualification de « représentant du peuple pour le département de la Charente ». Habert répondit simplement : « Député ».
  2. Déposition de Jules Lemaître.