Page:Joseph Reinach - Histoire de l’Affaire Dreyfus, Eugène Fasquelle, 1908, Tome 6.djvu/129

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
119
L’AMNISTIE


les insultes. Galliffet, très énervé, écrit quelques mots, se lève et quitte la salle.

Certainement, il n’y eut pas préméditation ; aucune comparaison ne peut être faite entre le mouvement d’impatience et de colère qui l’emporte et la défection de Chanoine, combinée avec les royalistes. Cependant son amitié pour Waldeck-Rousseau s’était refroidie depuis quelque temps ; des influences mondaines avaient agi sur lui ; il avait été malade ; « il en avait assez ». Quand le prétexte s’offrit, il le saisit[1].

Waldeck-Rousseau, très pâle, déconcerté, demande à expliquer sa pensée. Son affection pour Galliffet, son souci de l’armée, déjà trop troublée, vont trouver des accents qui ramèneront le vieux soldat. Les clameurs, un rugissement continu, couvrent sa voix : « J’ai fait allusion à un acte qualifié par le ministre de la Guerre d’un mot plus énergique… » Galliffet, tout à l’heure malmené par la Droite, est maintenant son héros. On n’entend que son nom acclamé par cent bouches. Deschanel suspend la séance et Waldeck-Rousseau descend de la tribune.

On court à la recherche de Galliffet ; on ne le trouve pas. Il était rentré chez lui, après avoir passé quelques instants au ministère, avait consigné sa porte[2]. Sa lettre de démission allégua seulement des raisons de santé.

Sans Bourgeois, à la reprise de la séance, le ministère succombait. Atteint par le geste de Galliffet dans cette sensibilité qu’il cachait si bien que presque tout le monde l’ignorait, mécontent de lui-même, écœuré de tout, comme il arrive aux plus intrépides, — surtout

  1. Selon Clemenceau : « Quand le combat est devenu trop chaud, il a simplement déserté. » (La Honte, 168.)
  2. Cour de cassation, 11 juin 1904, Galliffet.