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L’AMNISTIE


considérations politiques, elle ne pourra être invoquée à aucun moment comme la justification ou l’excuse des actes qui sont à l’origine des grands troubles qu’elle doit apaiser, et la conscience humaine, et l’histoire conservent leurs droits. Par deux fois, sans le nommer, Waldeck-Rousseau marque Mercier : « Non, il n’y a pas de devoir supérieur à la sauvegarde des formes judiciaires et à cette loi de la civilisation qui veut qu’un accusé, fût-ce un coupable, ne soit frappé à son insu dans l’ombre et par derrière. » Et encore, dans sa péroraison : « À ceux qui pensent que c’est trop d’indulgence et que nous risquons d’affaiblir dans l’âme de la nation le sentiment des responsabilités, je me borne à répondre qu’il y a des châtiments plus sévères que certaines des peines que prononce la loi, et que la justice qui siège dans les prétoires n’est pas toute la justice, qu’il en est une autre, formée par la conscience publique, qui traverse les âges, qui est l’enseignement des peuples, et qui déjà entre dans l’histoire. »

Ce fut sur ces mots que Waldeck-Rousseau descendit de la tribune, mais ce n’étaient pas seulement des mots ; ou c’étaient les mots, dit Cazot, avec lesquels on rédige les jugements sans appel.

À plus de cent voix[1], le Sénat vota l’affichage du discours ; la flétrissure de Mercier par le chef du gouvernement sera portée à la connaissance de tout le pays.

L’article unique du projet fut adopté ensuite par plus des deux tiers de l’assemblée, 281 voix contre 32. La minorité comprenait la droite et quatre républicains, les trois sénateurs qui avaient parlé contre la loi et le

  1. Par 169 voix contre 41. — Le contre-projet du Centre sur l’amnistie des condamnés de la Haute-Cour fut repoussé par 161 voix contre 102.