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HISTOIRE DE L’AFFAIRE DREYFUS


eut beau dire que « la grâce avait déjà le caractère d’une réparation partielle » ; « elle n’apparaîtra pas dans l’histoire comme une renonciation à la justice » ; elle est, « un acompte d’humanité sur l’entière justice, une anticipation émue sur la pleine reconnaissance du droit[1] ». Le concours tacite qu’il avait donné à l’amnistie lui enlevait de son crédit sur beaucoup de militants qui se réclamaient de Clemenceau, ou qui ne juraient que par Picquart. Dans la joie qui suit une victoire définitive, on acclame les chefs et les soldats, on glorifie les morts et les blessés, on jette un voile sur les fautes commises ; après la défaite ou une ardente bataille qui n’a pas été décisive, on recherche d’abord les responsabilités et l’on récrimine[2]. Le parti, au surplus, s’était fort mêlé, de recrues de la onzième heure, qui n’avaient pas reçu le pain sans mélange, et il était embarrassé, comme tous les partis, d’un train assez grossier. Les nouveaux venus, pensant faire oublier l’heure tardive de leur arrivée, se répandaient en violences contre Waldeck-Rousseau, inerte pendant le procès de Rennes, les promoteurs de la grâce et quiconque ne considérait pas l’amnistie comme « scélérate » et « déshonorante ». — Il n’y eût jamais de syndicat ; pourtant des journalistes avaient demandé et reçu de l’argent ; ils en demandèrent encore ; déçus ou mal satisfaits, ils accréditèrent la légende d’un Dreyfus égoïste et ingrat. On répétait ce mot d’un « intellectuel » : « Esterhazy à Londres, Dreyfus à Genève, cela est fâcheux. »

    Dreyfus, on nous a imposé l’amnistie. » (Dépêche du 7 décembre.) « La grâce du déshonneur. » (Aurore du 7.) « Je ne pardonnerai jamais aux fabricateurs de la grâce. » (Aurore du 26.)

  1. Petite République du 9 novembre 1901, en réponse à l’article de Labori sur l’Affaire. (V. p. 179).
  2. Souvenirs inédits de Mathieu Dreyfus.