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HISTOIRE DE L’AFFAIRE DREYFUS


qu’elle zézayât, le don le plus extraordinaire de persuasion, jusqu’à paraître se convaincre elle-même de ses imaginations et de ses fourbes. Après quelques années de mariage, elle fait de son mari, nature molle et sans principes, son complice, s’associe ses deux frères, et, à eux quatre, mettent en scène, pendant dix-neuf ans (1882-1902), un roman d’affaires financières et judiciaires comme il n’en est pas sorti du cerveau de Balzac. — Thérèse a raconté qu’un Américain du nom de Crawford, dont elle laisse entendre qu’il a été l’amant de sa mère et qui serait mort à Nice, lui a légué toute sa fortune évaluée d’abord à vingt millions. Un peu plus tard, Parmentier, avoué au Havre, reçoit la visite de deux inconnus qui se disent les neveux de Crawford, qui sont les frères de Thérèse, les Daurignac, et qui le constituent leur mandataire général pour attaquer le testament. Il ne les revoit point par la suite, car ils sont toujours en voyage, mais il n’arrête point de correspondre avec eux à travers les cinq parties du monde, et sans qu’aucun soupçon lui traverse l’esprit, à aucun moment, puisqu’il reçoit d’eux, outre 400.000 francs d’honoraires, près de 4.000 lettres, toujours de la même écriture, et toujours avec les instructions les plus précises, témoignant d’une connaissance approfondie de la procédure, pour suivre les diverses instances qu’ils ont engagées. Aussi bien ne plaident-ils pas tant sur la succession elle-même que sur diverses transactions dont elle a été l’objet entre les époux Humbert et eux, et, notamment, sur une convention de séquestre qui, en même temps qu’elle atteste la réalité de l’héritage, le frappe d’indisponibilité ; et ainsi le chimérique héritage s’est trouvé authentiqué par les transactions, et les transactions le sont, à leur tour, par les jugements et arrêts contradictoires qui les confirment, les annulent ou les inter-