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LE BORDEREAU ANNOTÉ

Jaurès, préoccupé de Dreyfus, avait surveillé sévèrement son discours ; nulle parole offensante contre l’armée, comme il en avait parfois prononcé, aucune de ces généralisations, qui firent tant de mal, ne lui était échappée ; mais il était si peu maître de son parti qu’il n’avait pu empêcher Vaillant de traduire, dans un autre ordre du jour, les pensées de derrière la tête de leurs amis. Vaillant, « applaudissant à la révélation de tout scandale et de tout crime qui déconsidère le militarisme et en accélère la ruine au profit du socialisme », réclama une enquête générale « sur les méfaits » des grands chefs et les jugements des conseils de guerre. Signèrent avec lui Chauvière, Sembat, Paul Constans, Allard, Coutant, Bouveri, Dejeante, Walter, Delory, Thivrier, Dufour (de l’Indre).

Jaurès, discutant avec eux, ne leur opposait jamais que des raisons de circonstance, d’opportunité ; au fond, il pensait comme eux, était avec eux, comme le prisonnier avec les porte-clefs. Et cela se savait, éclatait à tous les yeux. La droite, le centre, nombre de radicaux affectaient de lui préférer son extrême gauche qui avait le mérite de la franchise et de la logique.

Tout de suite, Ribot réclama l’ordre du jour pur et simple.

Ribot, à qui n’échappait pas la mauvaise humeur des radicaux, chercha à les piquer d’amour-propre. Une fois de plus, vont-ils approuver Combes et André de s’être mis à la remorque de Jaurès ? Quelle responsabilité sera la leur ! On lui a reproché de s’être refusé à discuter le fond de l’Affaire devant la Chambre, et il s’y refuse encore, car il s’est fait une loi, qui aurait dû être celle de tous, de ne point mêler la politique à la justice. Sans doute, si Jaurès, tout à l’heure, avait révélé quelque fait nouveau qui permît de reprendre la