Page:Joseph Reinach - Histoire de l’Affaire Dreyfus, Eugène Fasquelle, 1908, Tome 6.djvu/275

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
265
L’ENQUÊTE


Ainsi prédisposé par ce premier raisonnement vicieux à d’autres erreurs, André, continuant son examen des deux pièces, s’étonna « des formes invraisemblables » des fragments de papier, mis bout à bout, dont elles étaient composées, de certaines déchirures « qui étaient faites au canif » et « de la queue de l’i du mot ami prolongée sur un fragment qui n’appartenait pas à la même pièce « que celle où ce mot était écrit[1]. Ces prétendues singularités lui parurent suspectes et, comme plus il s’hypnotisait devant ces quadrillés aux nuances différentes, plus ces nuances, bien que pâles, qui allaient du violet au gris bleuté, lui semblaient éclatantes, il décida que « l’échange entre les fragments des deux pièces n’avait pas pu être faite par inadvertance ». « Un simple examen, se dit-il, devait faire découvrir cet échange » ; « notamment, le défaut de concordance des déchirures et leur irrégularité auraient dû frapper la personne qui avait procédé au recollage des fragments. « Ni Lemercier-Picard, opérant sous la direction d’Henry, ni Henry regardant l’ouvrage de Lemercier-Picard avant de le faire voir à sa femme et de le porter à Gonse, n’ont pu commettre ou ne pas apercevoir aussitôt de pareilles erreurs. Et, par conséquent, l’échange entre les fragments des deux pièces a été fait intentionnellement, afin de rendre le faux matériel plus manifeste[2], et quelqu’un a falsifié le faux d’Henry.

    question du Procureur général Baudouin) : « Lorsque Cuignet me l’a montré au jour, il m’a dit : « Maintenant, je le vois au jour, mais je ne l’avais pas vu auparavant. » Roget certifie l’exactitude du récit de Cuignet, en donne cette preuve : « J’ai vu quelquefois Henry venir rôder dans le bureau parce qu’il était inquiet. » — Voir t. IV, 47.

  1. Cour de cassation, 13 juin 1904, Targe.
  2. « Par suite, cet échange semble avoir été fait sciemment