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L’ENQUÊTE


démission d’officier de l’armée territoriale, à la suite, sinon en raison, du discours où Morès l’avait traité d’espion et qu’il avait laissé sans réponse[1].

Baudouin fit plutôt le procès de Weil qu’il ne l’interrogea, le malmena, perdit toute mesure[2], ce qui n’était point le moyen de le faire parler. Weil le prit de haut, refusa de se laisser traiter en accusé et, s’il avait un secret, le garda. On n’en tira rien[3].

Les dépositions du général de Luxer[4], qui avait présidé à l’acquittement d’Esterhazy, et du colonel de Villeroche, ancien officier de l’État-Major de Saussier[5], confirmèrent une singulière découverte de Targe. L’ordre d’informer contre Esterhazy portait qu’il était « accusé d’avoir, en 1894, pratiqué des machinations ou entretenu des intelligences avec une puissance étran-

  1. Cour de cassation, 9 mai 1901, Weil : « Je n’avais pas à relever les accusations de M. de Morès… On m’a fait changer de service ; du service d’État-Major, on m’a fait passer au service de réquisition des chevaux ; j’ai estimé que c’était une disgrâce… Comment ! j’ai toujours travaillé gratuitement pour le gouvernement… »
  2. Ainsi, Weil ayant raconté que sa femme avait écrit un jour à haussier pour appuyer une requête d’Esterhazy, Baudouin lui dit : « Vous n’avez pas douté de la convenance des démarches d’une femme auprès d’un vieux garçon ? » Weil répliqua qu’il avait lui-même engagé sa femme à écrire au général dans l’intérêt des enfants d’Esterhazy : « S’il y a un crime à cela, j’ai fait assez de charités dans mon existence pour qu’on ne me reproche pas celle-là. »
  3. Weil fut interrogé à nouveau (15 juin 1904) par le juge d’instruction Boucard, agissant en vertu d’une commission rogatoire. Il allégua la confusion de ses souvenirs, se référa à sa déposition de 1899, moins éloignée des faits. Il nia m’avoir dit qu’il avait reconnu l’écriture d’Esterhazy sur un fac-similé du bordereau que j’avais donné à l’un de ses amis, peu après la publication de la brochure de Bernard Lazare (Voir t. II, 484).
  4. 4 juillet 1904, devant le juge Boucard, qui se rendit chez Luxer, alité, atteint du mal qui devait l’emporter quelques jours après.
  5. Cour de cassation, 9 mai 1904.