Page:Joseph Reinach - Histoire de l’Affaire Dreyfus, Eugène Fasquelle, 1908, Tome 6.djvu/47

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
37
L’AMNISTIE


veau. Les nations catholiques qui ne se réformeront pas seront toujours infailliblement battues par les nations protestantes. Les croyances surnaturelles sont comme un poison qui tue si on le prend à trop haute dose… La supériorité intellectuelle et militaire appartiendra désormais à la nation qui pensera librement[1]. » — On venait d’avoir la preuve que toute la partie de la nation, qui avait reçu l’éducation des moines, ne pensait pas librement ; bien plus, qu’elle exerçait sa contagion sur l’autre partie. Quel autre moyen d’empêcher le mal de s’étendre que d’en supprimer les propagateurs, c’est-à-dire les congrégations ?

Ce n’avait pas été la solution de Renan : « Ce qu’il faut désirer, disait-il, c’est une réforme libérale du catholicisme, sans intervention de l’État. » Cette réforme est-elle possible ? Il s’est toujours rencontré une minorité d’esprits catholiques très distingués pour en reconnaître la nécessité et y travailler ; ils ont été suspectés aussitôt d’hérésie, de protestantisme inconscient, condamnés, réduits à l’apostasie ou au silence.

Les Bretons ont beau passer à la libre-pensée, ils gardent des croyances de leur enfance, sinon une empreinte, du moins un souvenir ému qui résiste à toutes les considérations scientifiques ou politiques. Pour Renan, la foi, la foi catholique, sera toujours « chose exquise[2] » ; Waldeck-Rousseau n’a pas seulement le respect, « l’estime extérieure de la religion[3] », comme peut l’avoir tout esprit tolérant, mais il lui a conservé une manière de tendresse filiale qui le fait s’inquiéter pour elle des fautes commises en son nom. Voilà sa po-

  1. Réforme intellectuelle et morale, 97, 98, 100.
  2. Ibid : « La foi, comme toutes les choses exquises, est susceptible… »
  3. Discours de Gambetta à Lille, 6 février 1876.