Page:Joseph Reinach - Histoire de l’Affaire Dreyfus, Eugène Fasquelle, 1908, Tome 6.djvu/73

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
63
L’AMNISTIE


même imméritée, de loyalisme. Il a existé tout un dossier des complicités militaires ; mais le ministère public n’en fit point usage.

Marcel Habert, le Pylade de Déroulède, qui s’était soustrait par la fuite à l’arrestation préventive, se constitua prisonnier le 19 décembre, — la procédure de contumace suivie contre lui finissait le 20, — et demanda que sa cause fût jointe à celle des autres accusés.

La Cour s’y refusa, dans le double intérêt de la justice et des accusés. Le procès se poursuivait depuis déjà trente-cinq audiences. Il eût fallu recommencer tous les débats.

Belle occasion pour Déroulède de jouer l’une de ses scènes ordinaires de fureur. Il n’assistait pas aux audiences depuis quelques jours, se disant malade et « par répugnance morale[1] ». Il y retourna pour appuyer la requête de son ami : « Marcel Habert ne vient pas ici pour prolonger un débat, mais pour s’offrir comme moi et avec moi à votre vengeance. » Et, tout de suite, dès que le Procureur général eût conclu contre la jonction, un flot d’invectives : « Connaissant l’obéissance de la magistrature aux ordres du gouvernement… Cette Assemblée est infâme… J’ai témoigné mon mépris à la Haute-Cour et je le témoigne encore ; vous êtes les domestiques de l’illégalité. » Le Procureur général requiert l’application de la loi pour outrages à des magistrats dans l’exercice de leurs fonctions ; Déroulède reprend : « Allez jusqu’au bout de vos peines. Plus je serai frappé par vous, plus je serai honoré par la France… Vous pourrissez mon pays ! Vous êtes des misérables ! Vous êtes des bandits !… Votre Président de la République

  1. Audience du 20 décembre 1899, Déroulède : « J’ai surmonté ma douleur physique et la répugnance morale que j’éprouve à venir ici. ».