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L’ARRESTATION


Quand Dreyfus eut terminé, Du Paty, qui a le pouce entouré d’un gant de soie noire et prétexte l’impossibilité de tenir une plume, le prie « d’écrire une lettre à présenter à la signature du général de Boisdeffre[1] ». Il le lui demande, selon sa propre version, comme « une obligeance ». Selon Dreyfus, il fit cette demande « d’une voix étranglée ». Dreyfus accepte. Du Paty s’assied à côté de lui, tout près, et commence à dicter « à mi-voix ».

Préface de plus en plus bizarre à l’inspection générale ! Dreyfus, depuis plusieurs semaines, ne fait plus partie des bureaux de l’État-Major ; il n’est point des amis de cet aristocrate méprisant ni sous ses ordres ; et Du Paty s’adresse à lui, non à l’un ou à l’autre de ces officiers en civil, pour lui dicter, non pas une lettre de service, urgente ou banale, mais la lettre la plus extraordinaire du monde, relative à des affaires très délicates, de celles qu’on ne confie qu’à un secrétaire de confiance. Il eût pu manifester quelque surprise ; il en éprouva[2]. Cependant, il ne témoigne d’aucun embarras et, docilement, écrit.

Du Paty, penché sur Dreyfus, dicte :


Paris, 15 octobre 1894.

Ayant le plus grave intérêt, Monsieur,
à rentrer momentanément en possession
des documents que je vous ai fait passer
avant mon départ aux manœuvres, je
vous prie de me les faire adresser
d’urgence par le porteur de la présente
qui est une personne sûre…

  1. Rennes, III, 506, Du Paty.
  2. « J’y étais de moins en moins. » (Notes manuscrites de Dreyfus, écrites au Cherche-Midi ; dossier de 1844).