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L’ARRESTATION

III

Cette scène n’avait pas duré dix minutes. Celle qui suivit dura près de deux heures.

Ce fut un combat, le premier de l’une des plus grandes guerres civiles de l’histoire, guerre plus que civile, où ne s’entrechoquèrent pas seulement des poitrines humaines, mais deux mondes avec toutes leurs passions, celui d’un passé qu’on croyait mort et qui ressuscite, celui de la Liberté et du Droit, qui risqua d’y périr.

Tout de suite, dès cette première rencontre, les personnages incarnent trois d’entre les classes principales des combattants.

Du Paty, c’est cette nouvelle caste militaire qui s’est emparée du haut commandement et qui veut faire de l’armée sa chose, étant devenue elle-même celle des Jésuites. Depuis près de vingt ans, la noblesse et toute cette portion de la bourgeoisie qui gravite autour d’elle ont été ou se sont exclues des fonctions civiles. L’armée, du moins, sera à elles, l’armée où se sont conservés tant de vestiges de l’ancien régime qu’on croit y vivre encore. Les grades y sont une propriété. On se targue d’y servir, non pas un odieux régime, mais la Patrie. Or, ici même, la carrière a été ouverte au talent. Des roturiers qui n’ont pas honte de leur roture, des républicains qui avouent la République, jusqu’à des juifs, ont réussi, en dépit des examens frelatés, à entrer dans la place et jusque dans le saint des saints, au cœur du domaine privilégié. Dès lors, la lutte s’engage, non pas brutale, mais sournoise et à lointaine échéance.