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L’ARRESTATION


Paty prend aussitôt la parole : « J’ai, madame, une bien triste mission à remplir. » Elle n’eut qu’un cri : « Mon mari est mort ! — Non, pis que cela ! » reprit Du Paty. Elle ne comprend pas, interroge : « Une chute de cheval ? — Non, madame, il est incarcéré. »

C’est ce que Du Paty appelle « apprendre son malheur à une femme avec tous les ménagements possibles[1] ».

Ici encore, par la brutalité soudaine de la révélation, espérait-il surprendre, au lieu de l’effroyable douleur, le trouble révélateur d’une complicité ?

Et à cette infortunée, comme à son mari, il refuse de dire quelle est l’accusation qui, tout à coup, en plein bonheur, brise ces deux vies. Ici encore, contre cette femme, il appelle à l’aide les armes qu’il vient d’employer en vain contre le mari : la terreur et le mystère, qui feront jaillir l’aveu ou éclater la folie.

« Où est-il ? Dans quelle prison est-il enfermé ? » Refus de répondre. Le secret de l’arrestation est tel que Du Paty ne saurait même transmettre à Dreyfus des nouvelles de sa femme et de ses enfants, dont l’un est malade. En dehors du ministre et des instructeurs de l’affaire, nul ne doit savoir ce qu’est devenu cet homme. Mme Dreyfus insiste pour faire prévenir les frères de son mari. Du Paty s’y refuse. Elle observe que son devoir est de les avertir. Du Paty : « Un mot, un seul, prononcé par vous, serait sa perte définitive. Le seul moyen de le sauver, c’est le silence[2]. »

La malheureuse crut le fourbe ; elle se taira. Du Paty était renseigné ; il savait par Sandherr qu’il n’y avait point à Mulhouse de famille plus française que celle de Dreyfus ; l’un des frères du capitaine, Mathieu, nature énergique et résolue, ébranlerait terre et ciel pour

  1. Rapport de Du Paty.
  2. Récit de Mme Dreyfus.
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