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HISTOIRE DE L’AFFAIRE DREYFUS


très léger, à calque, du genre pelure, quadrillé et filigrané, sans marque de provenance. Du Paty avait compté en découvrir de semblable chez Dreyfus, ce qui eût constitué une preuve décisive. Or, ni chez lui, ni chez son beau-père, Du Paty ni Cochefert n’ont rien trouvé. Cochefert a procédé à des recherches dans les maisons de librairie et de papeterie ; les investigations sont demeurées négatives. Le papier existait seulement chez les marchands en gros, « mais sans être filigrané, ce qui ne se faisait que sur commande[1] ». Bertillon, de son côté, a procédé en vain à des recherches : il lui a été répondu « que le modèle n’était plus courant dans le commerce[2] ». L’échec, ici encore, était complet.

Les fronts s’assombrissaient ; « la situation devint aussi pénible, ou presque aussi pénible, qu’avant que Dreyfus eût été désigné aux soupçons[3] ».

Il y a un siècle, lorsque Dreyfus s’appelait Calas, le marquis Du Paty de Clam avait nom le capitoul David de Beaudrigue. Le même drame se joue pour la seconde fois. Mêmes acteurs et mêmes mobiles, même folie et mêmes forfaits. Jusqu’aux mêmes mots sortent, par une loi psychologique, des mêmes circonstances. Du Paty comme Beaudrigue : « Je prends tout sur moi. » Du Paty comme Beaudrigue : « C’est ici la cause de la religion » ou « de l’armée ». Dès que Du Paty, comme Beaudrigue, a eu imaginé la culpabilité de l’innocent, du premier coup, à première vue, frappé d’un trait subit de lumière, le roman qu’il a inventé est

  1. Rapport de l’inspecteur Brissaud, 19 octobre : Cass., I, 681 ; III, 189.
  2. Cass., I, 678, Marion, marchand de papier en gros. (28 octobre 1894.)
  3. Rennes, I, 378, Picquart.