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L’ENQUÊTE


à Mulhouse, il ne se risquait pas à sortir de la maison paternelle.

Du Paty a préparé avec le plus grand soin une autre épreuve et un autre piège. Il montre à Dreyfus, à la lumière d’une bougie et très vite, un bout de papier, où figure la reproduction photographique d’une ligne du bordereau : « Je vais partir en manœuvres. » Il lui fait écrire, à plusieurs reprises, les mots : « manœuvres », « je vais » ; puis, les phrases : « Je vais en manœuvres », « Je vais partir en manœuvres ». Puis, lui remontrant le fragment photographique : « Reconnaissez-vous votre écriture ? Non, ce n’est pas mon écriture. — Connaissez-vous une écriture qui lui ressemble ? » Et Gribelin appuie : « Regardez bien ; il y va de votre peau. » Dreyfus : « Conduisez-moi au ministère ; je chercherai dans les bureaux ; peut-être trouverai-je ? » Du Paty, Gribelin ricanent. Alors, Dreyfus, après quelque hésitation : « Il me semble vaguement que cette écriture ressemble à celle du capitaine Brault. »

On verra quel parti l’État-Major et la Congrégation surent tirer de cette réponse.

Dreyfus, au surplus, ne l’a pas plus tôt formulée qu’il la retire. Il n’est pas assez sûr de ses souvenirs. Il ne veut incriminer personne. Il s’en tient à ses affirmations répétées que cette phrase n’est pas de son écriture.

Du Paty insiste : « Comment expliquez-vous que les experts constatent l’identité de votre écriture avec celle du document dont je viens de vous montrer une ligne ? — Cette ligne n’est pas de moi. Quant au reste du document, que je ne connais pas, ou les experts se trompent, ou bien on a pris, dans un panier, de vieux papiers, des morceaux détachés de manuscrits de moi, pour en faire un ensemble. » Sur interrogation nouvelle, Dreyfus précise qu’il n’a aucun motif particulier de faire cette