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L’ENQUÊTE

Non seulement il s’offre pour une nouvelle étude du bordereau, mais pour des services de tous genres. C’est bientôt, entre Du Paty et lui, une collaboration régulière, de tous les instants[1]. Du Paty lui rend compte des interrogatoires de Dreyfus ; Bertillon l’aide de ses conseils. C’est lui qui l’engage à faire écrire Dreyfus couché, debout, la main nue ou gantée[2]. Il recherche, concurremment avec Cochefert, le papier pelure. Besognes de procureur ou de policier qui sont, tout au moins, incompatibles avec l’indépendance d’un expert.

Puisque Dreyfus est bien le traître, Gobert, professionnel, s’est trompé dans son expertise. Lui, point. Quel sujet d’orgueil ! L’axiome que le bordereau ne peut être que de l’officier accusé tue ce qui peut lui rester d’esprit critique. L’idée, entrée dans son cerveau, y opère comme le brochet dans un vivier, dévore tout.

Si l’État-Major demande à Bertillon une nouvelle étude, ce n’est donc pas pour qu’il se démente. C’est avec la certitude qu’il fera disparaître de son second rapport sa réserve primitive, cette hypothèse d’un faux qui ouvre une brèche dans l’accusation et dont le traître ne manquera pas de s’emparer pour sa défense.

Bertillon a prétendu qu’il s’était remis à l’œuvre dans la pensée même qui lui avait dicté sa première réserve : le bordereau n’aurait-il pas été créé de pièces et de morceaux par un criminel inconnu, dans le dessein de perdre un ennemi personnel[3] ?

Cette idée était pour surprendre de la part d’un expert,

  1. Bertillon dit expressément à Rennes (II, 342) qu’il était en rapport avec Du Paty et Henry, qu’il discutait avec eux sur l’affaire.
  2. Gobert, également, avait conseillé au général Gonse de faire écrire Dreyfus la main gantée, assis, puis debout. (Cass., I, 271.)
  3. Rennes, II, 324, Bertillon.