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HISTOIRE DE L’AFFAIRE DREYFUS


commérages. L’innombrable presse de province répète à son tour et amplifie.

En moins de huit jours, des millions de lecteurs, toute la France saura, par le menu, l’histoire détaillée de la plus effroyable trahison de tous les temps.

Ce n’était pas la première affaire d’espionnage qui eût éclaté depuis vingt ans ; déjà, d’autres espions avaient été découverts, condamnés. Mais c’étaient d’obscurs sous-ordres, soldats ou caporaux besoigneux, un seul adjudant perdu de dettes. L’accusé d’aujourd’hui est un officier d’un grade élevé, sortant d’une grande école, attaché à l’État-Major. Il était naturel que l’émotion fût en proportion du grade, du rang social, des hautes fonctions occupées.

Et, aussi, de la gravité du crime. La seule note officielle, du 31 octobre, ne mentionne « qu’une communication de documents confidentiels, mais peu importants ». L’opinion, restée en présence de cette seule note, n’eût pas pris peur. Ne prenant pas peur, elle eût réfléchi. Peut-être eût-elle été retournée, comme d’une saute de vent, si elle avait appris dès lors quelle était l’unique pièce du procès, déniée par l’accusé, divisant les experts.

Cela, qu’il n’y avait aucun inconvénient à dire, qu’il eût été équitable de faire connaître, Mercier le cachait. Seuls, les ministres le savaient, mais murés dans une réserve qui accroissait l’inquiétude. Et toutes précautions étaient prises pour que rien ne transpirât de la vérité. Dreyfus, au Cherche-Midi, restait au secret absolu. Il y restera pendant plus d’un mois, jusqu’au 4 décembre. Alors, seulement, son avocat verra le dossier. Tout ce temps, son frère, ses proches, ne savent rien de l’inculpation, se perdent en conjectures sans fin.