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HISTOIRE DE L’AFFAIRE DREYFUS


Il s’en cache même à l’accusateur public, D’Ormescheville.

Mais l’accusé, maintenant, c’est Mercier. Ne le condamnons pas sans l’entendre.

Il n’allègue qu’un seul motif, qui lui semble suffisant : « L’intérêt qu’il y avait à communiquer les pièces le moins possible[1]. »

Quoi ! pas même à D’Ormescheville, à un officier de plus, quand vingt autres les connaissent déjà ou les connaîtront ! Est-il plus suspect d’indiscrétion, plus bavard que les autres ?

La vraie raison, en ce qui concerne D’Ormescheville, c’est que, si elles avaient été communiquées au rapporteur, les pièces l’auraient été forcément à la défense[2] ; versées au dossier, elles n’eussent plus été secrètes.

Et le seul fait d’apporter, à la dernière heure, ces charges réservées si longtemps, détruisait la première ; elle était donc bien insuffisante, bien fragile, pour qu’il fût jugé nécessaire d’amener ce renfort sur le champ de bataille, de faire donner la garde !

Croit-il du moins, en son for intérieur, que ces pièces s’appliquent à Dreyfus ? Il l’affirme, le jure. Mais s’il les tient pour probantes, que ne les lui jette-t-il à la face ?

Il insiste : « Il l’eût voulu, mais elles eussent été divulguées. » Par qui ? L’avocat est tenu au secret professionnel et Dreyfus va être supprimé du monde, il va partir pour le bagne éternel.

Et pourquoi la production d’une lettre de Schwarzkoppen à Panizzardi est-elle plus dangereuse, à huis clos, que celle du bordereau dérobé à l’ambassade d’Allemagne ? Le bordereau a été communiqué à Demange, à

  1. Rennes, II, 215, Mercier.
  2. Rennes, II, 215, Jouaust.