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HISTOIRE DE L’AFFAIRE DREYFUS

Dreyfus a signalé l’insécurité des documents secrets ou confidentiels au deuxième bureau. La déposition du capitaine Roy[1], celle de Bernollin prouvent qu’il a dit vrai. D’Ormescheville affirme que « l’allégation de Dreyfus n’a été confirmée par aucun des témoins » et se demande quel pouvait bien être le but de ce mensonge. — « Si vous voulez interpréter, répond un accusé à un inquisiteur, tout ce que je dis autrement que d’une façon simple et claire, alors je ne sais plus que dire[2]. » — Dreyfus, dans une conversation avec un camarade, a parlé des faits d’amorçage qui se pratiquent à l’État-Major. « Ces propos semblent avoir pour objet de lui ménager un moyen de défense, s’il était arrêté un jour porteur de documents secrets. » Et, tout plein des découvertes de Bertillon : « C’est sans doute cette préoccupation qui l’a amené à ne pas déguiser davantage son écriture dans le document incriminé. »

Pas un fait. Rien que des insinuations, rien que des hypothèses, fondées sur l’éternelle pétition de principe, que Dreyfus doit être le traître. Et c’est encore la procédure de l’Inquisition où « l’examinateur doit toujours admettre, comme établi, le fait qu’il cherche à prouver[3] ». Les Papes eux-mêmes, cependant, ont décrété que « des présomptions, même fortes, ne sont pas des preuves[4] ». Nul n’a surpris l’accusé à ouvrir des tiroirs, à fouiller dans des papiers ; mais, « s’il s’arran-

  1. Dreyfus avait signalé l’absence d’un cadenas à secret à l’armoire des dossiers du deuxième bureau. Aussitôt, la négligence fut réparée. « Depuis le commencement de novembre, d’après Roy, cette armoire est munie d’une barre de fer avec cadenas à lettres. » (Cass., II, 72.)
  2. Lea, Histoire de l’Inquisition, I, 463, d’après Bernard-Guy, Practica super inquisitionem.
  3. Lea, loc. cit., I, 468.
  4. Instructions d’Innocent III, au sujet des Cathares de La Charité.