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HISTOIRE DE L’AFFAIRE DREYFUS

VI

Les pires criminels, présumés innocents tant qu’ils ne sont qu’accusés, sont autorisés à recevoir, dans leur prison, la visite des leurs. Mercier refusa à Dreyfus le droit de voir les siens.

Il ne fut permis au prisonnier que d’écrire à sa femme.

Nous avons ses lettres, d’une foi inébranlable, d’une tendresse profonde[1]. La première est du 4 décembre :

 « Te rappelles-tu quand je te disais combien nous étions heureux ? Tout nous souriait dans la vie. Puis, tout-à-coup, ce coup de foudre, dont mon cerveau est encore ébranlé. Moi, accusé du crime le plus monstrueux qu’un soldat puisse commettre ! Encore aujourd’hui je me crois le jouet d’un cauchemar… »

Mais il espère « en Dieu et en la Justice » ; l’erreur sera passagère.

« J’ai été accablé, atterré dans ma prison sombre, en tête à tête avec mon cerveau ; j’ai eu des moments de folie farouche, j’ai même divagué ; mais ma conscience veillait. Elle me disait : « Haut la tête !… Marche droit ! »

« J’attends avec impatience une lettre de toi. Tu es mon espoir, tu es ma consolation ; autrement la vie me serait à charge. Rien que de penser qu’on a pu m’accuser d’un tel crime, tout mon être tressaille, tout mon corps se révolte. »

Deux jours après :

« Avoir travaillé toute sa vie dans un but unique : dans le but de revanche contre cet infâme ravisseur qui nous a

  1. Lettres d’un Innocent, pp. 21 et suiv.