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HISTOIRE DE L’AFFAIRE DREYFUS


destructive aussi de l’ossature de l’armée qu’elle affaiblit de ses soldats les plus exercés. Au surplus, contradictoire aux déclarations précédentes de Mercier lui-même sur la nécessité de relever les effectifs, il était allé jusqu’à demander aux conseils de revision de ne point exempter du service les moins valides qu’il avait été de règle, jusqu’alors, d’écarter[1]. La commission de l’armée avait protesté contre cette « incorporation d’une Cour des Miracles ».

Lorsque Casimir-Perier connut la circulaire du 1er août, il s’indigna. S’il avait aussitôt exigé la démission du ministre qui s’était rendu coupable, à son égard, d’une si laide dissimulation et, à l’égard de l’armée, d’une faute aussi lourde, quels malheurs il eût évités ! Devant sa résolution d’affirmer son autorité de chef d’État, de chef suprême des armées, le ministère tout entier se serait-il rendu solidaire de Mercier ? Crise

  1. Circulaire du 15 mars 1894. La circulaire précéda de deux jours le dépôt du budget qui fixait l’effectif, pour 1896, à 544.057 hommes. Bien qu’il fût informé que la classe de 1895 serait plus nombreuse que la précédente, Mercier était tellement préoccupé de la nécessité de relever, même en temps de paix, les effectifs, qu’il n’hésita pas à entrer en conflit avec la commission de l’armée sur sa circulaire. Cette opinion sur le chiffre intangible des effectifs, il l’avait défendue encore, dans la première quinzaine de juin, contre son collègue des finances. Poincaré lui avait demandé, en effet, de réaliser une économie d’une dizaine de millions sur son budget ; le 12 juin, Mercier lui répondit qu’il ne saurait « arriver à ce résultat qu’en diminuant les effectifs des hommes à entretenir ». Il n’y avait qu’un seul moyen légal pour diminuer les effectifs, c’était d’établir une seconde portion de contingent ; « mais ce moyen présentait de telles difficultés d’application et de tels inconvénients au point de vue militaire qu’il ne serait pas possible de l’appliquer ». — Carnot fut assassiné, à Lyon, le 25 juin. C’est dans ce court intervalle, du 12 au 25, que Mercier changea d’avis, se rallia à la mesure que, si peu de jours auparavant, il tenait, avec raison, pour illégale et préjudiciable aux intérêts de l’armée.