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HISTOIRE DE L’AFFAIRE DREYFUS


contraire, devant les temps d’épreuve qui revenaient, s’étaient redressés, incrédules à l’accusation, parce qu’ils osaient répéter avec Voltaire : « A-t-on quelque exemple, dans les annales du monde et des crimes, d’un pareil parricide, commis, sans aucun dessein, sans aucun intérêt, sans aucune cause[1] ? »

Mais la place des juifs, ce jour-là, n’était pas au prétoire.

Mathieu et Jacques Dreyfus y étaient. Ils virent passer leur frère, quand, la séance ouverte, le colonel Maurel ordonna aux huissiers d’introduire l’accusé. Tous les spectateurs, debout, regardaient ; les uns, d’opinion préconçue, qu’un détail physique y confirma ; les autres, qui se flattaient de juger l’homme, toute cette cause ténébreuse, sur l’apparence de l’accusé, son regard entrevu, le son de sa voix.

II

Quand un directeur de théâtre monte un drame, il distribue à chaque acteur un rôle de son emploi. La littérature, une psychologie rudimentaire, ont établi une concordance entre le physique des hommes et leur âme. Il ne fera pas jouer Achille à un nez retroussé, ni Scapin à un nez droit, pareil à celui des statues grecques. Le metteur en scène du drame humain ignore cette poétique. Quel peintre, fût-il Rembrandt, a osé montrer le petit juif chassieux, malingre et sordide que fut saint Paul ?

À l’Ambigu, le spectateur, du premier coup d’œil

  1. Voltaire, xxxvi, p. 140, Déclaration de Pierre Calas.