Page:Joseph Reinach - Histoire de l’Affaire Dreyfus, La Revue Blanche, 1901, Tome 1.djvu/434

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
412
HISTOIRE DE L’AFFAIRE DREYFUS


ou probable ; « s’il n’y avait pas le dossier secret, il ne serait pas tranquille[1]. «

En effet, « sa foi dans le dossier était absolue[2] ».

Il ne connaissait alors que deux des documents secrets, le mémento de Schwarzkoppen et la pièce Canaille de D[3]. Il ne les avait d’ailleurs pas vus, n’en avait été informé que par Du Paty, n’y avait pas réfléchi. Mais la légende courante, acceptée de tous, était qu’il y en avait d’autres encore, d’une clarté décisive, écrasante[4], « que c’était formidable[5] ». Et cette abomination de juger un homme sur des preuves inconnues de la défense ne lui était pas apparue. La conscience loyale de ce soldat n’était pas encore dégagée de sa gangue.

Il rendit compte également au Président de la République, à l’issue de chaque audience[6].

Les juges, eux aussi, connaissaient l’existence de pièces très graves, terribles, qui leur seraient montrées secrètement. Même, il leur avait été dit, pour rassurer leurs scrupules, que Maurel avait obtenu du ministre de la Justice une consultation écrite[7] sur ses droits, et la procédure à suivre pour ne pas donner prise à la défense. La consultation ne prévoyait pas les pièces secrètes, mais ils pensaient qu’elle s’y appliquait. Et tout cela pesait sur leur jugement.

  1. Cass., I, 132, Picquart : « J’ai même dit au général de Boisdeffre et au ministre que, s’il n’y avait pas de dossier secret, je ne serais pas tranquille. » — Même déposition à Rennes, I, 379.
  2. Cass., I, 143, Picquart.
  3. Ibid., 132.
  4. Rennes, I, 361, Picquart.
  5. Cass., I, 132, Picquart.
  6. Ibid., 131.
  7. « Écrite à la machine à écrire », leur avait-on dit.