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HISTOIRE DE L’AFFAIRE DREYFUS


clos ; mais c’était le bruit universel, et D’Ormescheville avait dénoncé la prétendue facilité des visites de Dreyfus en Alsace, ses voyages clandestins à Mulhouse, sous l’œil fermé du complice allemand[1] ; Maurel, Brisset, y avaient insisté. Or, voici qu’une nouvelle trahison apparaît. Il ne vendait pas la France qu’à la Prusse, mais à l’Italie. Toutes ces pièces, qu’ils ont sous leurs yeux, qu’ils tiennent entre leurs mains, proviennent de l’attaché italien ! Enfin, celle-ci, la notice biographique, envoyée par Mercier lui-même, montre que la trahison du misérable n’a pas été un coup de folie. On cherchait le mobile, on avait la naïveté de s’en inquiéter ! Il a toujours trahi, dès Bourges, dès l’École de guerre ; il n’est entré dans l’armée française que pour trahir…

Comme tout s’éclaire ! Ce camarade d’hier, encore revêtu de l’uniforme galonné, pourquoi, tout à l’heure, n’a-t-il pas trouvé un cri, une parole, qui leur soit allé au cœur ? Le poids de sa double trahison, de ces dix années de trahison, était sur lui, l’étouffait !

Ainsi se trompèrent ces hommes, ainsi furent-ils trompés. Ne les accusez point du crime de Mercier, de Boisdeffre, d’Henry : d’avoir frappé un innocent, le sachant innocent. Ils sont sûrs que Dreyfus a trahi, cent fois sûrs. Pour croire qu’un seul d’entre eux, même Maurel, n’en était pas convaincu, il me faudrait tous les témoins et toutes les preuves, morales, matérielles, invincibles, que j’ai contre les chefs qui leur mentirent. Non, ils furent sincères, aussi loyaux que crédules, mauvais juges, bons soldats. L’injustice, moins cruelle, mais moins excusable que la leur, serait de ne pas tenir compte

  1. À l’audience, Demange avait produit un des nombreux refus de passe-port qui avaient été opposés à Dreyfus par l’autorité allemande.