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LE PROCÈS


légère influence[1] ». Maurel dit que sa conviction était faite, et celle de deux autres officiers qui lui en firent la confidence, mais qu’il ne nomme pas[2]. Dans ce cas, la forfaiture, doublée de faux, aurait été un crime inutile.

La condamnation était-elle certaine à ce point ? Ce ne fut l’avis ni de Lépine, qui annonça l’acquittement à ses collaborateurs les plus intimes, donna des ordres éventuels pour protéger Dreyfus, à sa sortie, contre les manifestants ; — ni de Picquart, qui, pendant le délibéré, faisant son rapport à Mercier, lui disait « que l’impression générale n’était pas en faveur de l’accusation, mais que les juges maintenant devaient être fixés par le dossier secret[3] » ; — ni de Bertin qui, enragé de haine, à l’heure même portait ses fureurs chez le chef de l’État.

Quelques jours après, Freycinet, ancien ministre de la Guerre et toujours renseigné, racontera à son collègue du Sénat, Scheurer-Kestner, que les juges, après le plaidoyer de Demange, étaient perplexes. Alors, dans le cabinet où ils délibéraient, une pièce leur fut montrée qui triompha de leurs doutes et décida l’unanime verdict que voulait Mercier. C’était une lettre de l’attaché militaire italien à son collègue allemand ; il s’y trouvait cette phrase : « Dreyfus tient la dragée haute. » Freyci-

  1. Rennes, II, 399, Freystætter.
  2. Rennes, II, 194, Maurel. — Freystætter, au contraire, quelque temps après la condamnation, dit à un camarade : « Vous ne douteriez pas si vous aviez vu ce que nous avons vu en chambre du conseil. » Le Gaulois, du 3 novembre 1897, recueillit également cette confidence d’un juge : « Nous n’étions peut-être pas en pleine lumière quand nous sommes entrés dans la salle des délibérations ; nous y avons tous été, dès qu’on nous a communiqué certains documents. »
  3. Lettre de Picquart au garde des Sceaux, du 15 septembre 1898 : « Rendant compte de l’impression générale au ministre, pendant la délibération, je lui ai dit… » (Cass., III, 41.)