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HISTOIRE DE L’AFFAIRE DREYFUS


d’autres, qui ne sont pas discordantes, et descendront dans la rue.

Un jour viendra où les chefs des socialistes comprendront que la vérité, surtout déplaisante, est le premier des devoirs envers le peuple. Grande et féconde idée qui naîtra de cette même cause d’un juif injustement condamné. Mais cette heure, en ces sombres journées de décembre, n’avait point sonné encore.

Ils étaient convaincus alors du crime de Dreyfus. Qui ne l’était ? Les quelques hommes qui le croyaient innocent n’en avaient nulle preuve, ignorants du dossier que Demange avait refusé de leur ouvrir, condamnés au silence par cette ignorance, comme l’était l’avocat lui-même par le secret professionnel, n’ayant à opposer à l’accablant verdict qu’un raisonnement abstrait ou un instinct. Les socialistes, dès lors, puisqu’ils ne mettaient pas en doute que le condamné fût le traître, eussent mérité les injustes reproches dont leur patriotisme était l’objet s’ils n’avaient exprimé leur horreur d’une telle félonie.

Ils eussent pu s’étonner des conditions exceptionnelles du procès, en dehors des règles ordinaires de la justice, s’indigner de l’intervention brutale de Mercier faisant de cette cause un duel entre l’accusé et lui, ameutant les passions à sa suite. Ils n’en voulurent rien voir. Puis, le verdict rendu, ils comparèrent le sort d’un officier, tentant un parricide contre la patrie et condamné à la déportation, avec celui d’un simple soldat, se livrant à une voie de fait contre un caporal et passé par les armes. Ce contraste avait frappé tous les esprits et les avait révoltés[1]. Le mécanisme législatif qui assimile la trahison aux crimes politiques, pour lesquels la peine

  1. Presque tous les journaux de Paris et de province.