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LA DÉGRADATION


lamente qu’on soit « réduit à garder Dreyfus[1] ». Cela sera difficile, coûteux. Un cadavre eût exigé moins de frais. La rumeur croissante de la populace approuve ces horreurs. Et le poète voluptueux du Passant, le tendre poète des Humbles, Coppée, vieilli et dévot, termine une fanfare lyrique par cette supplique : « Ah ! qu’on nous montre l’immonde face du traître, que nous crachions tous dessus l’un après l’autre[2] ! »

On se disputait les billets pour la cérémonie. Mercier eût voulu y faire procéder sur une vaste place, à Vincennes ou à Longchamp, pour associer tout le peuple à son triomphe[3]. Le Gouvernement, décida que la parade aurait lieu dans une des cours de l’École militaire.

XI

Le 5 janvier, dès l’aube brumeuse d’hiver, la foule se mit en mouvement vers la place de Fontenoy[4]. Une grille s’élève entre la place et la grande cour de l’École militaire. La dégradation aura lieu dans cette cour. La foule n’apercevra que la silhouette du condamné, les phases principales du supplice. Cela lui suffit : voir une grille derrière laquelle se passe quelque chose d’affreux, y avoir été. Les rues avoisinantes sont encombrées. Malgré le froid aigu, il y a là plusieurs milliers de cu-

  1. Petit Journal du 5 janvier 1895.
  2. Journal du 28 décembre 1894.
  3. Journal du 25 décembre, Éclair du 26, etc.
  4. Les récits les plus circonstanciés sont ceux du Figaro (Léon Daudet), du Temps, de la Libre Parole et de l’Autorité. Tous les récits sont concordants jusque dans les moindres détails. Autant de photographies prises, d’ailleurs, du même point.