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HISTOIRE DE L’AFFAIRE DREYFUS


Parfois, de la foule qui s’énerve, une rumeur monte, huée mêlée de sifflets. Le ciel reste noir, sans soleil ; dans l’air glacé, des flocons de neige.

Au premier coup de neuf heures à l’horloge de l’École, le général Darras, à cheval, entouré de ses officiers, tire et lève son épée, commande de porter les armes. L’ordre est répété de régiment en régiment. Les tambours roulent.

Puis un grand silence, fait de tumultes contenus, religieux, puisque la terreur a fait les premiers dieux[1].

Alors, vers l’angle droit de la place, d’une petite porte, sort le cortège : quatre canonniers, sabre au clair ; entre eux, l’homme ; tout proche, « le bourreau[2] », un adjudant de la garde républicaine, une manière de géant[3].

Tous les yeux sont braqués vers l’homme. Dans un rayon subit de soleil, ses galons d’or, l’acier de l’épée brillent une dernière fois ; il marche, d’une allure assurée, ferme, vers le groupe où se tient le général. À mi-chemin, il perd le pas, et, militairement, s’y remet[4].

Une voix, quelque part, rompt le silence : « Regardez donc comme il se tient droit, la canaille[5] ! »

Il s’arrête devant le général, talons joints. Les canonniers se reculent. Le voici seul, la tête haute[6].

Le général Darras lève de nouveau son épée ; les tambours et les clairons ouvrent le ban.

Le greffier Vallecalle lit le jugement du conseil de

  1. « Il règne un tumultueux silence. » (Léon Daudet, dans le Figaro du 6 janvier). — « Dans cette vaste cour, où il y a plus de quatre mille hommes, on n’entend pas un souffle. » (Libre Parole du 6).
  2. Léon Daudet.
  3. Il s’appelait Bouxin.
  4. Cass., I, 242, De Mitry : « Ce détail m’a paru étrange… L’attitude de Dreyfus m’a produit un profond dégoût. »
  5. Autorité du 6.
  6. Libre Parole.