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LA DÉGRADATION


guerre. Dreyfus garde la position militaire, « la tête toujours très droite[1] », sans un geste, silencieux.

La lecture terminée, le général Darras, dressé sur ses étriers, l’épée à la main, lance d’une voix émue[2] la phrase sacramentelle : « Alfred Dreyfus, vous êtes indigne de porter les armes. Au nom du peuple français, nous vous dégradons. »

Aussitôt, les deux bras vers les troupes, Dreyfus s’écrie d’une voix forte, qui s’entend au loin : « Soldats ! on dégrade un innocent ! Soldats ! on déshonore un innocent ! Vive la France ! Vive l’armée ! »

La foule, sur la place de Fontenoy, répond par une clameur stridente, hurle, siffle[3] : « À mort ! à mort ! » Ces cris volent comme des balles[4].

L’adjudant s’est approché de Dreyfus, et, très vite, arrache les insignes, les galons d’or du képi et des manches, les boutons du dolman. Il se hâte, comme en colère ou fidèle à la consigne. Mais l’affreuse besogne semble, même au rédacteur de Drumont, durer des siècles[5].

Auprès du géant casqué[6], à la crinière flottante, qui le décortique, penché sur lui, Dreyfus semble tout petit. Immobile, sans recul ni secousse, le torse un peu rejeté en arrière, il voit tomber à ses pieds tous ces lambeaux lacérés d’honneur. Il se prête au supplice pour l’abréger.

  1. Libre Parole.
  2. Autorité, Temps, etc.
  3. Léon Daudet.
  4. Libre Parole ; de même Autorité, Liberté, Temps, etc.
  5. Libre Parole. — De même le rédacteur, également hostile, de l’Autorité : « Les secondes nous ont semblé des siècles ; jamais impression d’angoisse plus aiguë. »
  6. Le Petit Journal célèbre le « colosse ». Le Matin vante sa main puissante « s’abattant sur les insignes du condamné qui semblent avoir fondu dans ses doigts ».