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HISTOIRE DE L’AFFAIRE DREYFUS

Mais, incessamment, d’une voix qui s’étrangle parfois, aiguë et déchirante, il répète son cri : « Je suis innocent ! Je le jure sur la tête de ma femme et de mes enfants ! Vive la France[1] ! »

Maintenant le brillant uniforme n’est plus qu’une guenille noire, une loque informe et ridicule. Reste le sabre. L’adjudant le tire, et, d’un coup sec, le brise sur son genou, laissant tomber à terre, dans la boue, les deux tronçons rompus, « morts à la place de l’honneur[2] ».

Et la voix de l’homme continue à s’élever : « On dégrade un innocent ! On a condamné un innocent ! Je suis innocent ! »

La foule, au loin, se remet à gronder : « À mort ! à mort ! » Mais plus haut que la clameur, que l’ouragan d’invectives, sonne le cri d’innocence, qui semble aux uns un défi, qui glace les autres de toute l’horreur de la vérité entrevue.

Le général, très pâle, en a eu le frisson.

Dreyfus connaît les règlements militaires, le programme de la cérémonie. Il enjambe ses insignes flétris ; de lui-même[3] il se place entre les quatre artilleurs, qui sont là, manteau en sautoir, pistolet à la ceinture, sabre nu ; et loin qu’ils l’emmènent, c’est lui qui semble les conduire, roide, inflexible, la tête toujours relevée[4], pour faire le tour de la place d’Armes. Un capitaine s’écrie : « On dirait un officier qui commande son peloton[5] ! »

Il défile, dans son accoutrement pitoyable, de longs

  1. Cass., I, 141, Picquart ; 278, Darras ; etc.
  2. Léon Daudet.
  3. Libre Parole, Liberté, etc.
  4. Autorité, Libre Parole, Léon Daudet.
  5. Croix du 7 janvier.