Page:Joseph Reinach - Histoire de l’Affaire Dreyfus, La Revue Blanche, 1901, Tome 1.djvu/526

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
504
HISTOIRE DE L’AFFAIRE DREYFUS


rière[1], il crie : « Vous direz demain à la France entière que je suis innocent ! » Les injures pleuvent sur lui[2] ; journalistes, officiers de réserve et de territoriale[3] poussent des huées : « Tais-toi, misérable ! Lâche ! Judas ! Sale juif[4] ! » Il se trouve un républicain pour protester ; « il est remis à sa place vertement[5] ». Dreyfus se redresse sous l’outrage : « Vous n’avez pas le droit de m’insulter ![6] » « Cabotin ! Sale juif ! » lui crie-t-on encore[7], « à Satory ! » Les officiers de réserve redoublent de fureur. Dreyfus leur dit : « Vous faites de moi un martyr[8]. »

Le jeune romancier Léon Daudet, fils d’un poète, petit-gendre d’Hugo, qui, de sa lorgnette de spectacle, a suivi le malheureux dans son supplice, le regarde maintenant de près : « Il n’a plus d’âge. Il n’a plus de nom. Il n’a plus de teint. Il est couleur traître[9]. »

Un autre écrivain cherche en vain sur ses traits « une trace de l’anéantissement moral qui doit le terrasser[10] ».

Et Dreyfus continue son chemin, la montée de son calvaire. Un instant, ses jambes fléchissent, sa démarche semble plus lourde. Mais il se redresse, et sa voix ne cesse de retentir : « Soldats ! je suis innocent ! Vive la France ! »

  1. Libre Parole.
  2. Liberté, etc.
  3. Petit Journal : « Les injures plus rapprochées de quelques officiers, qui ne pouvaient maîtriser leur indignation… » (Judet). « Cri noblement indiscipliné ! » (Éclair). L’Avenir militaire du 14 signale le fait et réclame une punition pour ces officiers.
  4. Libre Parole, Autorité.
  5. Libre Parole.
  6. Autorité, etc.
  7. Autorité, Liberté, etc.
  8. Cass., II, 136, Louis Druet.
  9. Figaro.
  10. Patrie.