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LA CHUTE DE MERCIER


l’eût injurié de même, si son pas eût hésité. Sa figure pouvait n’être pas belle. Après les épreuves où il a dû passer, les leurs eussent-elles été bien gracieuses ? » Il rappelait à ces chrétiens sans pardon les pardons du Christ de qui ils se réclament, « Il faudrait empêcher les sauvages de se mêler à l’appareil de la justice. »

II

La prose meurtrière des scribes ordinaires du ruisseau et des virtuoses qui leur sont venus en aide suffira-t-elle à entretenir la colère de la foule et sa foi mécanique dans la sentence des sept officiers ? Un seul penseur qui pèsera le cri d’innocence de la victime, et c’est assez pour compromettre, un jour, l’œuvre d’iniquité. Au contraire, l’aveu, c’est la suprême condamnation, celle du criminel par lui-même. Dreyfus, s’il a confessé son crime avant de paraître devant les troupes assemblées, n’est qu’un comédien.

La poursuite de l’aveu, par tous les moyens, tortures ou ruses, tant qu’un souffle de vie est au corps de l’accusé, ç’a été, pendant des siècles, toute la procédure de l’Inquisition. Calas était attaché sur la roue, les membres rompus par onze coups de barre de fer, quand le capitoul Beaudrigue, s’élançant vers ces restes qui respiraient encore, s’écria une dernière fois : « Malheureux ! dis donc la vérité[1] ! » L’aveu, refusé jusqu’à la mort, on le forge.

La parade d’exécution était à peine achevée que le bruit des aveux de Dreyfus se répandit. Il aurait dit à l’officier qui se tenait près de lui, alors qu’il attendait d’être con-

  1. Voltaire, xxxvi, 160, Histoire des Calas.


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